On Your Sleeve" le 11 Novembre 2011 à New York
Combien de touristes, d’exilés, d’individus en situation de diaspora, ressentent chaque jour l’abîme culturel qui les sépare de leur contrée d’accueil ? Aux yeux du touriste, il s’agit là souvent d’un sujet d’amusement, parfois d’agacement, une incompréhension passagère qu’il oubliera sans nul doute une fois revenu chez lui, ou dont il parlera les yeux brillants, en s’exclamant qu’il faut le voir pour le croire.
L’exilé se doit d’être plus tolérant. L’intégration dans un pays d’accueil passe nécessairement par la bonne application de ses lois, mais aussi et surtout, par une compréhension en profondeur de ses us et coutumes. Cela doit-il se passer nécessairement aux dépens de sa culture d’origine ? Jusqu’à quel point la cohabitation culturelle peut-elle avoir lieu ?
Il n’y a pas deux diasporas identiques : les raisons qui poussent les individus à l’exil sont diverses et variées : parfois, l’expatriation est recherchée, d’autres fois, elle est imposée. La déportation peut être politique (diaspora arménienne), économique (Chinois, Indiens), culturelle ou linguistique (Québécois), religieuse (Juifs) ou encore sociale (diaspora homosexuelle)… Ainsi, selon les causes, les besoins des personnes diffèreront, y compris dans leur besoin de reconnaissance culturelle. Un peuple, à l’instar des Tibétains, qui s’est vu massacrer et déstabiliser dans son propre pays aura naturellement un plus grand besoin de repères et de contacts avec son pays d’origine qu’un exilé éduqué parti pour affaires.
L’appartenance ethnique est un concept quasi récursif : il n’y a appartenance ethnique que si l’individu affirme qu’il appartient à un groupe, que les membres du groupe acceptent cette identité sociale, et que l’individu agit en fonction des normes sociales de ce groupe. Ainsi, les groupes sociaux se forgent eux-mêmes des stéréotypes auxquels ils se doivent de répondre, érigeant par là même des frontières sociales avec les autres groupes.[1] L’immigré peut alors choisir de rester dans les carcans de ses propres normes ou de sauter les barrières qui le séparent de son pays d’accueil.
On parle alors de phénomène « d’acculturation. » L’ethnologue J.W. Powell le définit comme étant « l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes de cultures différentes et qui entraînent des modifications dans les modèles culturels de l’un ou l’autre des deux groupes »[2], autrement dit, l’évolution et la transformation des modes de vie, autant des exilés que des pays d’accueil. Si elle est primordiale pour l’ethnie accueillie, l’acculturation n’est pas traitée de la même manière selon les diasporas, ni même selon les époques et les générations.
L’assimilation est le cas le plus extrême d’acculturation. Il s’agit de la disparition intégrale de la culture d’un groupe au profit d’un autre[3] : Les immigrants se marient avec des locaux, changent de nom, et oublient toutes leurs traditions pour en adopter de nouvelles. Dans le cadre des diasporas, cependant, ce cas de figure n’est que très rarement observé, puisque, par définition, un individu en situation de diaspora cherche à garder des liens avec son pays d’origine.
À l’inverse, il existe le phénomène de contre-acculturation, qui est le rejet total de la nouvelle culture, et le retour à la culture d’origine. Le fait pour les diasporas nord-africaines de s’afficher comme étant ostensiblement musulmanes en portant le voile dans des pays de traditions laïque ou catholique est un exemple de contre-acculturation. Ce phénomène est probablement l’un des plus dangereux, car il marque la différence entre les groupes ethniques, et maintient un clivage qui prend bien souvent une tournure politique et contribue à l’isolement de la diaspora.[4]
Le multiculturalisme[5] est une cohabitation de deux ou plusieurs groupes culturels, sans débordement. C’est le rêve du « Melting Pot » américain. Si certains pays, tel que la Bulgarie parviennent à ériger côte à côte églises catholiques, orthodoxes, mosquées et synagogues[6] , un tel éclectisme est assez rare, de par un réflexe protectionniste et une méfiance naturelle de l’étranger. Il faut, pour être témoin d’un tel multiculturalisme, que le pays ait une très longue histoire d’immigration, et que les générations précédentes aient été parfaitement intégrées. L’Indonésie, avec ses 700 langues officielles, est un autre exemple typique de multiculturalisme.
Le philosophe Michel Tardieu[7] définit le syncrétisme comme étant un mélange d’influences. Il s’agit ici du meilleur exemple de métissage culturel. Au Japon, le shinbutsu-shūgō est un exemple de syncrétisme religieux[8]. Il s’agit de la fusion entre le shintoïsme japonais et le bouddhisme d’origine chinoise, qui a eu lieu dès l’introduction du bouddhisme au Japon. Il en résulte une acceptation nationale des deux croyances. Ainsi, des symboles bouddhistes peuvent se retrouver sur des statues shinto, et temples et sanctuaires sont érigés côte à côte.
Trouver la balance entre tous ces éléments peut s’avérer délicat pour les migrants. Les rythmes de vie et les technologies des pays d’accueil les forcent à s’adapter bon gré mal gré, ce qui n’est pas nécessairement bien vu des familles et amis restés au loin. Bien souvent tiraillés entre deux mondes, les « diasporants » se voient dans l’obligation de se reforger une toute nouvelle identité culturelle, pour se fondre dans la masse sans pour autant devenir étrangers à leur pays d’origine. Souvent, ils choisissent de préserver des bases de leur culture, qu’ils transmettent aux nouvelles générations nées dans les pays d’accueil. Ainsi, les plus jeunes connaissent une véritable mixité culturelle, et peuvent ainsi participer à l’essor de leur culture dans le pays d’accueil, et réciproquement.
En effet, les diasporas peuvent parfois contribuer à distance au développement de leur culture dans et hors de leur pays d’origine. C’est le cas de la diaspora irlandaise, par exemple : la population irlandaise est davantage représentée à l’étranger qu’en Irlande[9], et le plus gros festival de tradition gaélique se trouve dans le Wisconsin. L’influence de la diaspora est donc particulièrement importante dans un cas de figure tel que celui-ci, pour le pays d’origine aussi bien que pour les pays d’accueil.[10]
Ambre SIBUET-MASSON